Double-nationalité : discutons-en


Ouest-France nous informe ce matin que Marine Le Pen aurait écrit aux députés (la lettre date du 30 Mai) pour leur demander d’abroger la possibilité d’avoir une binationalité. Peu de temps après les problèmes qu’avaient soulevés Laurent Blanc. Elle parle « d’atteinte à la cohésion républicaine » et que ces gens doivent faire « allégeance » à la France ou à un autre pays, pas les deux en même temps. La lettre entière est ici.

La déclaration est, comme le Front National et les Les Pen nous ont habitué, sans demi-mesure. Mais si je trouve le terme d’allégeance trop fort, je suis assez d’accord sur ce passage de sa lettre : « La multiplicité des appartenances à d’autres nations contribue aujourd’hui, et d’une manière de plus en plus préoccupante, à affaiblir chez nos compatriotes l’acceptation d’une communauté de destin, et par là-même à miner les fondements de l’action de l’Etat. ».

Là encore, communauté de destin est un peu fort. Je sais que nombre d’entre vous se moquent complètement de ces histoires d’identité, et pourtant, un des problèmes de la France me semble être le fossé entre plusieurs tranches de sa population. Au-delà des classes sociales si chères à certains, il existe des communautés trop fortes et trop distinctes dans ce pays, qui nuisent à la possible fraternité de notre devise. Comment être le frère de quelqu’un avec qui l’on ne partage rien, si ce n’est une nationalité sur un papier officiel ?

Marine Le Pen prend l’exemple, très juste à mon goût, des matches. « L’échec patent de la double nationalité s’est affiché jusque dans diverses rencontres sportives récentes, à la suite desquelles de jeunes Français binationaux ne brandissaient pas notre drapeau tricolore, mais la bannière d’une autre nation. Ces soirs-là, nombre de nos compatriotes furent légitimement choqués. »

Je sais aussi que vous vous moquez du drapeau, mais il reste un des symboles les plus forts d’une nation. Je n’ai pas été choqué quand j’ai vu ces autres drapeaux brandis, l’habitude sans doute, mais cela renforce cette impression qu’en France vivent plusieurs communautés à l’identité propre, qui ne vivront jamais ensemble, qui ne le veulent pas.

« Comptant sur votre bon sens et la sincérité de votre implication en faveur de l’unité nationale, je vous appelle à prendre en compte une évolution de notre droit qui rencontre aujourd’hui l’adhésion d’une large majorité de nos compatriotes, y compris et peut-être même surtout de nos compatriotes d’origine étrangère qui ont fait le choix de devenir français à part entière et de renoncer à leur ancienne nationalité. « 

Je pense qu’abandonner la double nationalité n’est pas abandonner son identité d’origine, c’est affirmer sa volonté de s’investir dans un autre pays. Cela ne coupe en rien les liens que cette personne peut avoir avec son pays d’origine. Par contre, cela l’engage plus fortement à défendre les valeurs françaises. Vous me direz qu’alors, ces personnes resteront attachées à leur origine qu’importe leur nationalité officielle, mais je pense que c’est un pas à franchir. Elles continueront de brandir des drapeaux autres que tricolores mais j’espère que petit à petit, cela contribuera à réduire ce fossé, et à permettre à la communauté française de s’affirmer comme la seule à exister dans ce pays.

La présidente du FN conclut ainsi « La France souffre de l’absence de débats sur les sujets essentiels que d’autres pays pourtant abordent de front, sur l’euro ou le libre-échange par exemple. J’espère que le débat sur la double nationalité pourra échapper à cette règle délétère. ».

Je ne sais si c’est un sujet essentiel, mais c’est un sujet qui a son importance. Et comme beaucoup, ils sont requalifiés de débats juste bon à faire parler des racistes. C’est dommage. On verra les réactions des députés, mais je pense qu’elles sont prévisibles.

Tabou taboo

13 Commentaires

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13 réponses à “Double-nationalité : discutons-en

  1. DF

    C’est un sujet qui mérite débat, et un débat serein, je vous l’accorde. Impossible? On peut le craindre.

    Reste que la question de la double nationalité a d’autres enjeux, autrement importants que les rencontres sportives – je pense à l’engagement dans l’armée ou dans certains corps de fonctionnaires, par exemple la diplomatie… En Suisse, un binational candidat à la Carrière devra renoncer à sa deuxième nationalité non-suisse. En Italie, il faut être italien, sans possibilité d’équivalence. Je présume que ce genre de restriction vise à éviter des doubles allégeances douteuses.

    Après, avoir deux (ou plusieurs) passeports peut quand même être bien pratique…

  2. Oui un débat serein est impossible et Marine Le Pen le sait, donc elle lance bien le truc pour que ça fasse du bruit…

    • DF

      Pas faux. Mais pourquoi d’autres partis/politiques ne le font-ils pas avant elle? Objectivement, la question ne me paraît pas anodine.

      C’est un peu comme en Suisse: la droite dure (type UDC) dicte l’agenda politique en balançant de tels sujets (sur lesquels chacun a son idée mais qu’aucun parti n’ose aborder) sur la table, ce qui lui vaut des succès électoraux indéniables… et une réputation sulfureuse, face à d’autres partis (traditionnels, de gauche comme de droite) littéralement tétanisés, contraints à réagir au lieu de jouer un rôle de force de proposition proactive.

      • DF,

        Il est possible que dans le fond de commerce des autres partis le nombre de « double nationalité » soit important (tu connais le dicton : « on est tous enfants d’immigrés », il y a peut-être 20% de la population qui a des proches en double nationalité, et pas nécessairement algérien et français, ça peut être portugais ou italiens et français).

        En outre, l’UMP a probablement perdu gros avec le débat sur l’Islam.

        Par ailleurs, beaucoup se trompent sur les cibles électorales du FN qui sont plus les classes ouvrières agacées de voir les partis politiques s’occuper plus de la défense de valeurs comme l’antiracisme que d’eux.

        Enfin, je suis assez d’accord avec GdeC, ci-dessous, la notion de nation ne veut plus rien dire pour beaucoup (ce qui ne veut pas dire ne pas aimer son pays). Surtout, les autres partis peuvent jouer sur la laïcité et donc, par son biais, taper sur les méchants musulmans, généralement pas français pur souche, pas sur la notion de « français » qui ne fait pas référence au racisme mais à la xénophobie.

        • DF

          On se rejoint – effectivement, le FN vise les classes populaires, qui réagissent au quart de tour… une analyse déjà vue chez Alain Soral, mais qui éclate à présent, d’autant plus que Marine Le Pen est moins « maudite » que son père.

          Question nation, la notion va évoluer en effet – il est vrai que la construction européenne efface certains éléments de sa définition traditionnelle, en particulier le gommage des frontières et la (relative) disparition des contrôles douaniers. Dans ce sens, assez d’accord avec GdC aussi… et dans le même ordre d’idées, je suis certain que chaque nation a sa propre définition du passeport: quoi de commun entre un passeport suisse (binationalité acceptée au cas par cas), un passeport australien (remis à n’importe quelle personne travaillant et vivant en Australie depuis deux ans), un passeport chinois (il paraît qu’on ne peut pas se faire naturaliser chinois), etc.? Cela reflète des philosophies différentes face à l’immigration… et à la notion de frontière.

          J’espère ne pas avoir été trop confus…

  3. @Vall : gaffe ! à force de céder aux injonctions du FN, tu vas finir par passer de l’autre côté du mur… du çon. Doit-on laisser ce parti fixer la règle du jeu sur ce dont on doit débattre ou pas ? Moi, de totue façon, je trouve la simple idée de frontière totalement absurde et dépassée. Citoyen du monde ! Le patriotisme et l’idée de nation est l’amorce de toutes les guerres, hostilités tensions et dérapages insupportabels qui soient. Dont le racisme que tu rejette, comme moi. Mais la xénophobie ?

  4. ValLeNain

    @Nicolas, DF et GdeC : Je crois que DF fait un constat que je préciserais, ce ne sont pas les autres partis qui ne mettent pas ces débats sur la table, c’est la gauche, au sens large. En France, où la politique est quand même assez bipolarisée, il ne peut y avoir de véritable débat si un seul camp y prend part (le FN est à part). Ces débats ne seront donc jamais sereins et posés si la gauche refuse d’y prendre part. Et ce ne serait à mon avis pas une manière pour elle de perdre des électeurs, tout dépend du point de vue qu’elle défendrait
    Pour la question de nation, j’y suis attachée. Je ne me revendique pas citoyen du monde, ni même citoyen d’Europe, je suis citoyen Français, attaché aux valeurs françaises, et à la culture française. Ça va bien au delà de la question de frontière (même si je suis aussi attaché au territoire et aux régions françaises). Ce n’est à mon avis pas le patriotisme et l’idée de nation qui est à l’origine de toutes les guerres, c’est au contraire le fait de les négliger qui pousse les gens à se retrancher dans des identités qu’ils défendent brutalement. Ils se braquent contre une identité universelle et aseptisée que l’on tente de leur imposer, alors que leur identité originelle c’est ce qui fait la beauté de nos pays et de nos peuples.

  5. Val,

    Pourquoi veux tu forcer les partis politiques à rentrer dans un débat qui ne les fera pas gagner.

    Par exemple, quand des cadors de gauche font campagne sur la sécurité (l’ordre juste de Ségolène Royal, par exemple), ça n’attire aucun électeur, au contraire, ça fait basculer ailleurs des électeurs qui vont penser que la gauche ne s’occupe pas « des vrais problèmes » (sachant que chacun voit les vrais problèmes où il a envie).

    Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les valeurs de gauche ne peuvent qu’être internationalistes… (ce qui ne veut pas dire qu’on n’aime pas notre pays). « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous… » qu’il disait, papy…

    • ValLeNain

      Parce que les débats doivent servir la France, pas les partis, même si forcement, certaines idées servent plus certains partis que d’autres.
      Parce que les Français doivent être au courant des idées de chacun des partis sur chacun des points, même ceux qu’ils ne veulent pas mettre en avant. Pour la transparence, pour que les Français choisissent en connaissance de cause.

      Bien sûr, c’est très utopiste, il faudrait que la politique ne soit pas le théâtre des jeux d’argent et de pouvoir de pourris qui pensent d’abord à leur petite situation personnelle plutôt qu’à représenter des idéaux. N’aurait-on que ce que nous méritons ?

  6. Briavel Gouëdic

    La double nationalité peut s’acquérir de différentes façons : naissance, adoption, mariage ou naturalisation.

    Les immigrés proviennent pour :
    – moins de 200 000 d’Amérique et d’Océanie alors qu’il y a possibilité d’avoir la double nationalité avec les Etats-Unis, le Canada,le Brésil, le Mexique, le Honduras, le Costa Rica, l’Equateur, le Pérou, la Colombie, le Venezuela, le Paraguay et l’Uruguay l’Australie, la Nouvelle Zélande.

    – moins de 600 000 d’Asie, dont 1/3 de Turquie, et que seuls les Philippines, Israël, la Syrie, la Jordanie, le Liban et quelques petits pays permettent la double nationalité.

    – environ 2 millions d’Europe alors que les doubles nationalités n’ont de sens qu’avec les pays hors Schengen : la Roumanie, la Bulgarie.

    – et enfin 1,7 millions du continent africain : 600 000 d’Algérie, 500 000 du Maroc, 200 000 de Tunisie et 400 000 d’Afrique Sub-Saharienne, sachant que la double nationalité est possible avec la République Centrafricaine, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Burkina-Faso, le Bénin, le Togo et le Nigéria …

    Dès lors, on comprend un peu mieux ce qu’il y a derrière ce débat sur la double nationalité et il faudra se poser la question de la pertinence des circonscriptions législatives des Français établis hors de France et notamment la neuvième ou la dixième …

    • ValLeNain

      je pense ne pas comprendre. Qu’est ce que les circonscriptions législatives ? Les régions hors de France où les Français peuvent voter pour des élections françaises ? Je suis inculte des termes techniques, si communs puissent-ils être.

      • Briavel Gouëdic

        Une circonscription législative est le territoire sur lequel des candidats font campagne pour être élus. Aujourd’hui, il y a 577 députés à l’Assemblée nationale qui couvrent l’ensemble du territoire nationale de l’hexagone jusqu’aux territoires ultras-marins (en fait, dans l’attente de l’élection partielle provoquée par la démission de Gremetz, il y a 1 siège vacant mais passons ;-))

        Pour le reste, je te renvoie un billet que j’ai écrit sur la question http://wp.me/pYrKF-o7

  7. Pingback: Troisième aveu du jour : GdeC est, lui aussi, un (vrai) bisounours… « les échos de la gauchosphère