(Alcool)
Ça fait un mois moins un jour que je suis en stage. Ça fait parti de mon cursus scolaire, on nous donne gracieusement deux mois (presque) et demi de vacances, et on nous en reprend un avec un stage obligatoire officiellement non rémunéré 🙂
Je dis officiellement non rémunéré parce qu’aujourd’hui, j’ai eu le droit à une surprise de très bon goût : une paie ! Un super chèque (en francs suisse en plus, il y a comme un air de Lili Betancourt) !
Et du coup, cette joie qui vient soudainement vous rougir le visage tellement vous ne savez pas comment remercier votre supérieur hiérarchique pour ne pas passer pour un gamin de 12ans un matin de Noël, ni pour un connard qui s’en fout royalement et qui trouve ça totalement normal, m’a fait repenser à ma vision très philosophique du travail, que je m’étais forgée l’année dernière, en somnolant en philo.
Pour moi le travail, c’était le seul domaine dans lequel j’avais de l’estime pour l’Homme. Le travail : la voie vers l’émancipation. Dans un plan en 3 parties, c’en était bien souvent la première, celle qui s’en prend plein la tronche dans les deux suivantes. Pourtant
je persistais – je persiste toujours – à penser que c’était en donnant des contraintes, des limites, à l’Homme, qu’il pouvait le plus prouver de quoi il était capable, de montrer son brio, d’étaler ses connaissances, de faire partager son savoir-faire, d’appliquer sa technique. C’est vrai quoi !
Un bon chef cuisto c’est celui qui vous fait le meilleur plat alors que vous aviez donné des contraintes énormes et qui s’est débrouillé malgré tout à employer tout son talent pour vous rassasier d’un succulent saut périlleux de travers de porc sur défilé acrobatique de lentilles. Le bon ingénieur, c’est celui à qui vous donner deux branches trois clous et qui vous conçoit un avion.
Le raisonnement en terme de liberté est similaire. « Jamais nous n’avons été plus libre que sous l’occupation allemande » disait Sartre. Et je le comprends tout à fait. Parce que c’était l’occasion propice d’affirmer sa volonté, de faire un choix qui fixe votre vie et donc d’être pleinement libre, parce que vous faites le choix de jouer avec votre vie, ce qui représente certainement le choix le plus fort qu’on puisse faire.
Voilà comment j’en étais venu à penser que le travail – au sens large je précise, j’y inclus l’art et la création, le travail comme transformation de la Nature – était vraiment dans la nature humaine, et lui permettait de s’exprimer pleinement. En quelque sorte l’activité la plus vitale pour son épanouissement.
De pareilles phrases se devaient d'être accompagnées d'une belle fleur
Seulement, j’ai la triste impression que notre monde a transformé ce travail. Aujourd’hui il n’est plus que le moyen de se faire de l’argent pour vivre. Le travail est resté vital mais plus pour les mêmes raisons, il n’est plus qu’un moyen pour gagner cet argent divin. Le travail à la chaîne, les nouvelles techniques de management, la business création (les blockbusters par exemple) sont une perversion malsaine de ce qui nous permettait de nous exprimer et d’avoir pour but de toujours se surpasser. Quand on pouvait avoir envie de se défoncer à la tâche pour faire de belles choses, on le fera aujourd’hui pour gagner plus d’argent (et souvent bien le montrer aux autres, hein Nico, hein Lili ?!). Moi-même, cette joie que j’ai eu quand j’ai reçu ce chèque, cette joie qui m’a fait oublié toutes ces foutues valeurs et qui faisait clignoter la devise CHF dans mes yeux, montre bien ce changement.
Ce n’est pourtant pas la paie que je critique, puisque c’est tout à fait normal de recevoir récompense quand on loue ses qualités à son patron. Ce qui m’ennuie, c’est qu’on ne le fait plus que pour ça.
PS : ce doit être mon premier billet philosophique 🙂 Ça me permet de lancer une nouvelle catégorie.